Monsieur le Président,

Le 13 février 2006, la chaîne publique France 2 a diffusé, au cours de son émission «Complément d'enquête», un reportage sur le projet de loi 1206 dit DADVSI. On y voyait des députés de la majorité auditionner des représentants de l'industrie du disque. L'ambiance était apparemment tendue.

Dans la séquence suivante, interrogé sur cette tension, le député du Tarn, Bernard Carayon, et l'un des ses collaborateurs expliquaient que les enjeux financiers considérables de ce dossier justifiaient, pour certains, des méthodes contraires à la morale républicaine. Ils prenaient comme exemple les menaces de retrait de subventions destinées aux festivals organisés en province. Ce faisant, M. Carayon et son collaborateur n'ont fait que confirmer publiquement ce que nous savions déjà.

Un employé de la S., M. B., <fonction>, utilise le privilège que constitue la gestion de l'argent de la redevance copie privée à des fins de pression sur les parlementaires disposant de mandats locaux ou régionaux. Le chantage est en substance : «L'argent en provenance de la redevance copie privée et que nous attribuons pour financer les évènements culturels qui se déroulent dans vos communes ou régions vous sera retiré si vous ne votez pas comme nous le souhaitons.»



Ce procédé est inacceptable. La S. défend des interêts particuliers, ceux de ses sociétaires. Un élu peut estimer que d'autres interêts prévalent pour parvenir à l'interêt général. Lorsque cela arrive, la S. ne devrait pas pouvoir impunément le menacer en détournant de son but premier les 25% de la redevance copie privée destinés à la création artistique. L'argent que le public verse pour financer la diversité culturelle, l'émergence de jeunes talents, et l'accès à la culture pour tous n'a pas à être pris en otage de la sorte.

Au regard de la gravité de ces faits, nous vous demandons de créer une commission d'enquête parlementaire sur les pressions que subissent actuellement les élus et sur l'utilisation passée et présente des fonds en provenance de la redevance copie privée. La menace dévoilée sur France 2 n'est d'après nos informations qu'un élément révélateur de pratiques répétées depuis des décennies, et qui ne font que s'amplifier.

Le fait que M. B. ait eu - et ait peut-être encore - une carte d'assistant parlementaire est symptomatique, tout comme la présence à l'Assemblée, le 20 décembre 2005, à quelques mêtres de l'hémicycle, de représentants d'éditeurs de services en ligne commerciaux offrant des avantages en nature aux élus, au vu et su de tous, grâce à des badges fournis par le ministère de la Culture.

Nous savons que vous n'étiez vous même pas informé de cette dérive sans précédent qui vous a amené, à juste titre, à demander l'expulsion sans délai de ces «marchands du temple». Mais au delà de ces actions d'influence intolérables, il est désormais avéré que les conditions nécessaires au débat démocratique autour du projet de loi DADVSI ne sont toujours pas réunies.

Il n'est pas normal que seuls quelques élus du groupe UMP se soient saisis - en urgence - d'un dossier de cette importance, et négocient maintenant, toujours seuls, avec le ministère de la Culture sous la pression simultanée de dizaines de lobbyistes. Il n'est plus possible que le ministre de la Culture ne présente pas son texte révisé à la commission des Affaires Culturelles et Sociales et que la représentation nationale continue de travailler dans l'urgence.

Lancer au Palais de Tokyo un site internet réalisé par Publicis avec l'argent du contribuable pour que «débattent» internautes et vedettes - comme va le faire le ministère de la Culture le 22 février, quinze jours avant le réexamen annoncé du projet de loi - est une chose. Cela s'appelle de la communication. Débattre du contenu de son nouveau texte devant des parlementaires de tous horizons ayant pu l'étudier en détail en commissions, cela s'appellerait de la démocratie.

Par conséquent, nous vous demandons de reporter l'examen du projet de loi DADVSI, le temps que la mission d'enquête soit lancée et fasse la lumière sur le dossier lié à l'utilisation détournée de la redevance copie privée.

Nous vous demandons également d'inviter M. Donnedieu De Vabres à se rendre devant la commission des Affaires Culturelles et Sociales de l'Assemblée Nationale, et de retransmettre son audition à un format ouvert sur Internet.

Nous vous demandons enfin de demander officiellement au Premier Ministre le retrait de l'urgence pour que la représentation nationale puisse légiférer dans des conditions décentes, dignes de notre République.

En espérant que vous saurez répondre à nos inquiétudes et à nos attentes, veuillez, Monsieur le Président, croire en l'assurance de notre respectueuse considération.

Frédéric Couchet, Christophe Espern, membres fondateurs de l'intiative EUCD.INFO (http://eucd.info)