SOMMAIRE

I - Discussion

1. La Commission ne peut pas sérieusement reprocher à la France son retard dans la transposition de l'EUCD. Le responsable de la Commission le plus directement concerné par cette directive a en effet déclaré publiquement, il y a trois mois, qu'aucune solution aux problèmes majeurs de double paiement et d'interopérabilité qu'elle pose ou aggrave ne sera proposée avant 2007.

2. La Commission souhaite que les débats, notamment parlementaires, sur les problèmes que pose l'EUCD soient écourtés afin de ratifier deux traités internationaux remontant à 1996. L'initiative EUCD.info trouve cette attitude anti-démocratique, surtout vus l'origine de ces traités et le fait que les dispositions posant problème dans certains États membres proviennent de ces traités.

3. L'initiative EUCD.info rappelle, par ailleurs, que le projet de loi français de transposition ne résout pas les problèmes identifiés par la Commission. Il les aggrave et, qui plus est, en fait ressortir d'autres (notamment les risques de censure de chercheurs en sécurité informatique).

4. Il en va de même pour la proposition de directive IPRED II, rendue publique le 12 juillet 2005 par la Commission, et qui vise à créer un délit pénal européen d'incitation à la contrefaçon.

5. Conclusion

II - Références


I - Discussion

1. La Commission ne peut pas sérieusement reprocher à la France son retard dans la transposition de l'EUCD. Le responsable de la Commission le plus directement concerné par cette directive a en effet déclaré publiquement, il y a trois mois, qu'aucune solution aux problèmes majeurs de double paiement et d'interopérabilité qu'elle pose ou aggrave ne sera proposée avant 2007.

Le 30 mars dernier, lors d'une conférence donnée à l'université américaine de Fordham, Tilman Lueder, chef de l'unité Droits d'auteurs et économie de la connaissance de la direction Marché intérieur et services de la Commission européenne, a déclaré que son unité envisageait de revoir l'acquis communautaire relatif au droit d'auteur, et notamment :

  • L'article 5.2b de la directive 2001/29CE car il ne résout pas le problème de « double paiement » que pose le maintien d'une redevance sur la copie privée dans de nombreux États membres, alors même que les producteurs de disques et de films déploient actuellement dans ces pays des dispositifs limitant ou empêchant la copie privée (parfois illégalement, comme en France).
  • Les dispositions organisant la circulation des informations essentielles à l'interopérabilité, notamment pour prendre en compte les droits des auteurs de logiciels libres. Ils ne l'ont pas été lors de la rédaction de l'acquis communautaire actuel mais il n'est désormais plus possible de les ignorer au regard de l'intérêt de leur production pour la compétitivité de l'Europe dans la société de l'information.

M. Lueder a finalement indiqué que son unité allait auditionner durant tout l'année 2006 sur ces questions et qu'une solution serait peut-être proposée début 2007. On ne peut dès lors que s'étonner que la Commission presse les États membres comme elle le fait.

Retour au sommaire


2. La Commission souhaite que les débats, notamment parlementaires, sur les problèmes que pose l'EUCD soient écourtés afin de ratifier deux traités internationaux remontant à 1996. L'initiative EUCD.info trouve cette attitude anti-démocratique, surtout vus l'origine de ces traités et le fait que les dispositions qui posent actuellement problème dans certains états membres proviennent de ces traités.

La Commission cherche actuellement à faire entrer en vigueur dans l'Union européenne des traités qu'elle a négocié en 1996 à l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), organisation dont le fonctionnement et les productions passés sont actuellement clairement remis en cause.

Le fait, pour une administration, de s'appuyer sur des textes négociés à l'OMPI pour forcer la main à des parlementaires nationaux a, de plus, déjà été dénoncé comme anti-démocratique par cent professeurs de droit américains en janvier 1996 dans une lettre ouverte au secrétaire d'État au Commerce des États-Unis.

Cette lettre ouverte faisait suite à la publication, par l'administration Clinton en juillet 1995, d'un projet de loi, le National Information Infrastructure Copyright Protection Act (NIICPA). Ce texte souleva un tel tollé aux États-Unis qu'il fut rapidement abandonné au niveau national... pour mieux être incorporé dans les traités à l'OMPI en décembre 1996, suite à un remarquable tour de passe-passe de l'administration américaine.

Par la suite, en 1998, une proposition de directive reprenant le contenu des traités OMPI fut présentée au Parlement européen. Les débats en première lecture furent houleux. Le Conseil approuva pourtant ces traités en mars 2000, près d'un an avant la seconde lecture.

Lors de cette seconde lecture, en février 2001, l'adoption de l'EUCD fut présentée au Parlement européen par le commissaire Bolkenstein comme inéluctable et urgente pour ratifier les traités et se mettre au niveau des États-Unis. Pourtant, les premiers effets négatifs du DMCA (Digital Millenium Copyright Act), l'équivalent américain de l'EUCD, voté dès octobre 1998, se faisaient déjà sentir.


Sur le NIICPA, la Conférence diplomatique de l'OMPI de décembre 1996, les effets du DMCA, et le processus d'adoption de l'EUCD :
Petite histoire de la protection juridique des mesures techniques et des informations électroniques

Sur la contestation du fonctionnement et des productions de l'OMPI et leur nécessaire réforme :
http://www.ipjustice.org/WIPO/NGO_Statement.shtm

Retour au sommaire


3. L'initiative EUCD.info rappelle, par ailleurs, que le projet de loi français de transposition ne résout pas les problèmes identifiés par la Commission. Il les aggrave et, qui plus est, en fait ressortir d'autres (notamment les risques de censure de chercheurs en sécurité informatique).

Le projet de loi français n'exploite aucune des marges autorisées par la directive qui, elle-même, n'exploitait que peu les marges des traités. Le projet de loi français est le plus dur d'Europe.

En plus de mettre à mort la copie privée tout en conservant la redevance, il prévoit jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende pour le simple fait de lire un DVD avec un logiciel non autorisé par l'éditeur du DVD. Un tel acte est assimilé dans le projet de loi à un délit de contrefaçon. Cela revient à dire qu'un éditeur de livres peut imposer une marque de lunettes pour lire les livres qu'il fait imprimer, et que tout lecteur qui se permet de lire ces livres avec des lunettes d'une autre marque est un « pirate ».

Le fait de convertir au format MP3 un fichier « protégé » téléchargé sur le site de la FNAC est également assimilé à un délit de contrefaçon, tout comme la publication d'informations techniques (par exemple un code source) permettant une telle conversion. Le projet de loi français interdit ainsi la conception, la distribution et l'utilisation de logiciels libres permettant d'accéder à une oeuvre protégée.

« Le fait, en connaissance de cause, de faire connaître, directement ou indirectement », un outil de contournement est aussi sanctionné pénalement, indépendamment du fait que l'outil en question puisse avoir une utilisation principale autre que le contournement. C'est contraire à la directive et c'est le règne de l'arbitraire. La liberté d'expression des chercheurs en sécurité informatique, mais aussi des professeurs et des journalistes, est là directement menacée.

Les formulations utilisées, si elles ne sont pas modifiées, et pour certaines supprimées, pourraient d'ailleurs être censurées par le Conseil constitutionnel au regard du principe de légalité des délits et des peines.


Sur l'importance du logiciel libre pour la compétitivité de l'Europe, et sur l'interdiction de publier un code source ouvert prévue par le projet de loi DADVSI :
Lettre ouverte au rapporteur Vanneste

Sur le principe de légalité des délits et des peines et le projet de loi DADVSI, interventions du professeur Michel Vivant et de maître Cyril Rojinsky lors d'une conférence à l'Assemblée nationale en 2003 :

M.Vivant, C.Rojinsky

Retour au sommaire


4. Il en va de même pour la proposition de directive IPRED II, rendue publique le 12 juillet 2005 par la Commission, et qui vise à créer un délit pénal européen d'incitation à la contrefaçon.

La directive IPRED II (Intellecutal Property Rights Enforcement Directive) s'inspire de la première version d'une directive rédigée en 2003 par Janely Fourtou, député PPE et femme du PDG de Vivendi Universal. Pour mémoire, Madame Fourtou déclarait, dès la seconde lecture de l'EUCD en 2001 :

« Pour protéger les oeuvres contre les copies illégales, les ayants droit doivent avoir la possibilité d'utiliser des protections techniques. C'est pourquoi il faut combattre ce que l'on appelle les « hackers » en sanctionnant l'offre qu'ils font au public des moyens de neutraliser ces mesures de protection, incitant ainsi à la piraterie d'oeuvres protégées. »

En 2003, la proposition de Janely Fourtou de création d'un délit pénal européen d'incitation à la contrefaçon avait été rejetée dans la mesure où une telle harmonisation relève du « troisième pilier », c'est-à-dire du Conseil. Aujourd'hui, le projet est logiquement de retour, accompagné d'une proposition de décision-cadre, le Conseil ayant choisi, tout comme la Commission, de favoriser les intérêts particuliers des lobbies de l'industrie du disque et du film au détriment de l'intérêt général.

Cela étant, et comme il a été dit : le gouvernement français propose déjà aux parlementaires d'introduire des sanctions pénales pour « le fait, en connaissance de cause, de faire connaître, directement ou indirectement », un logiciel neutralisant une protection, et ce même si cela est nécessaire pour lire un DVD avec l'outil de son choix ou pour convertir un fichier protégé à un format ouvert. Sans doute car fournir une telle information est une « incitation » à la contrefaçon (l'EUCD n'oblige en rien à aller si loin). Le projet de loi français, quand il a été proposé, anticipait l'adoption des dispositions de la directive Fourtou (IPRED-I) qui ont été rejetées.

Après avoir rédigé des traités internationaux, loin de tout débat démocratique, les lobbies de l'industrie du disque et du film, soutenus par la Commission et le Conseil, poussent donc aujourd'hui le Parlement européen à déséquilibrer encore plus le droit d'auteur européen pour permettre à certains gouvernements et parlements nationaux de se justifier quand ils feront de même dans leurs pays, et ainsi de suite, chacun renvoyant la balle à l'autre en tapant de plus en plus fort sur le public et le progrès technique.

C'est exactement la façon de faire de l'industrie du film aux États-Unis (lobbying dans chaque État pour obtenir une loi fédérale) adaptée à l'Europe, et cela permet à certains politiques de se défausser sur la mondialisation ou l'Europe.

Retour au sommaire


5. Conclusion

L'initiative EUCD.info estime que les élus des États membres n'ayant pas transposé l'EUCD n'ont pas à introduire sous la menace et au pas de charge dans leur droit national des dispositions qui, d'une part, produisent des effets non négligeables sur les droits du public et la libre concurrence, et qui, d'autre part, proviennent de traités datant du siècle dernier et sur lesquels les peuples européens n'ont pas pu s'exprimer.

La Commission doit cesser ses pressions. Si débat dans les États membres il y a, il n'y a pas lieu de l'écourter au regard des enjeux. Les élus doivent disposer du temps nécessaire pour étudier les textes qui leur sont proposés, leurs effets constatés ou prévisibles, ainsi que les solutions retenues par les autres États membres pour les éviter.

À cette fin, ils devraient sans doute consulter le rapport que la Commission a dû, conformément à l'article 12 de l'EUCD, remettre au Parlement européen suite à la revue de transposition organisée fin 2004. Ils devraient également mener des auditions complémentaires afin d'alimenter la Commission dans sa réflexion sur l'évolution de l'acquis communautaire relatif au droit d'auteur.

L'initiative EUCD.INFO estime, par ailleurs, que la sagesse impose le retrait rapide de la proposition de directive IPRED-II. Si elle était retenue, cette proposition ne ferait qu'aggraver l'insécurité juridique découlant du processus de transposition de l'EUCD.

Cette proposition risque en effet de se transformer, peut-être avant même d'être adoptée, en lois nationales pénalisant la conception, la distribution, la promotion et l'utilisation de tout "logiciel permettant l'échange de fichiers numériques et n'intégrant pas un dispositif de contrôle de données protégées". L'initiative EUCD.info s'est d'ailleurs procurée, en mai dernier, un amendement de l'industrie du disque au projet de loi français de transposition de l'EUCD qui vise très exactement cet objectif.

Retour au sommaire


II - Références

Communiqué de presse de la Commission sur la transposition de l'EUCD

Intervention de Tilman Lueder à l'université de Fordham

Débats parlementaires sur l'EUCD (seconde lecture - 13/02/2001)

Les traités OMPI de 1996 (WCT et WPPT)

Le projet de loi DADVSI

Rapport du député Christian Vanneste (UMP) sur le projet de loi DADVSI pour la commission des lois

La directive IPRED II

Sur les pratiques de l'industrie du film aux États-Unis, Super-DMCA Legislation: MPAA's Stealth Attack on Your Living Room (EFF)


Retour au sommaire