Analyse de certains amendements du rapporteur Michel Thiollière
Une analyse de certains amendements présentés le 12 avril dernier à la commission des affaires culturelles du Sénat par le rapporteur sur le projet de loi DADVSI, Michel Thiollière. Nous vous invitons à le contacter pour lui donner votre avis sur son travail (courriel : m.thiolliere@senat.fr, téléphone : 01 42 34 37 67, fax : 01 42 34 41 91).
- La pseudo-exception pédagogique (amendement 1) empêche la mise en ligne de thèses contenant des oeuvres protégées ou la tenue de colloques ouverts aux publics où seraient exposées de telles oeuvres. En effet, l'usage autorisé par l'exception est "strictement circonscrit au cercle des élèves, étudiants, enseignants et chercheurs directement concernés". Va-t-on demain demander aux élus de sortir des colloques qu'ils inaugurent lorsqu'une oeuvre sera affichée vu qu'ils ne seront pas "directement concernés" ? Quant à l'exclusion de toute forme d'utilisation ludique ou récréative d'une base de données dans les écoles (amendement 11), elle témoigne d'une conception très XIXème de l'enseignement. ...
- La limitation de l'exception "bibliothèque" à la "consultation sur place" (amendements 6 et 10) est, elle aussi, d'un autre âge. Les sénateurs souhaitent-ils vraiment que les musées et les bibliothèques ne puissent pas utiliser les technologies modernes de l'information pour donner accès à tous les Français aux savoirs et aux arts ? Ce serait introduire une rupture d'égalité favorisant principalement les franciliens (la région parisienne est la région à plus forte densité culturelle). On voudrait empêcher le développement de services publics culturels modernes que l'on ne s'y prendrait pas autrement.
- L'amendement 8 entérine le fait que les sociétés de gestion collective peuvent revenir sur le droit moral des auteurs en les empêchant de choisir la façon dont il souhaitent exploiter leur oeuvre. C'est pitoyable étant donné que la disposition ainsi modifiée n'était qu'un simple rappel à la loi ayant pour objectif de mettre fin aux pratiques déviantes de la SACEM.
- L'amendement 9 supprime une disposition qui avait pour objectif de permettre au Parlement d'étudier les pistes de développement d'une plateforme permettant aux jeunes artistes de se faire connaître. On ne peut que s'interroger sur cette suppression : en quoi la rédaction d'un rapport par le parlement pose t-elle problème ? Qui a peur des conclusions des élus sur un tel sujet ? Sûrement pas les jeunes auteurs non inscrits à la SACEM ...
- L'amendement 15 revient sur la tentative de limitation du racket que constituerait la préservation de la redevance copie privée si la copie privée se transforme en copie contrôlée par des mesures techniques, ou est interdite (cas annoncé du DVD). Alors même que les DRM induisent la contractualisation payante de la copie privée, le rapporteur préfère conditionner la baisse de la redevance au préjudice subi au lieu de la conditionner aux limitations d'usages qu'entraînent les mesures techniques. Ce faisant, il ouvre la porte à une préservation de la redevance en l'état - et donc à un double paiement, d'autant plus quela commission fixant les montants de la redevance estt tenue par les ayant-droits dont on connaît l'interprétation extrêmement large de l'expression “préjudice”.
- L'amendement 16 réintroduit le fait que les hôpitaux français doivent s'acquitter de la redevance copie privée alors même qu'ils ne copient jamais d'oeuvres protégées mais uniquement des données médicales. Le trou de la Sécurité Sociale n'est sans doute pas assez béant pour le rapporteur ...
- La réécriture proposée de l'article 7 (amendement 17), et la modification des articles 13 et 14 (amendements 23 et 24) témoignent d'une complète allégeance à Apple, Microsoft, Thomson et Vivendi. Toutes les avancées arrachées au ministère de la Culture par une poignée de députés conscients des enjeux économiques du DADVSI ont été balayées. C'est la mort annoncée de la libre concurrence sur le segment de marché stratégique des lecteurs multimédia. C'est une négation des droits du consommateur et de ceux des auteurs de logiciel libre. À croire que le rapporteur n'a pas pris la peine de lire les débats à l'assemblée et la presse internationale ces derniers mois. Il semble s'être contenté de reprendre les amendements apportés par les lobbies sans chercher à comprendre leur impact sur l'économie de son pays. On attend d'ailleurs avec impatience son rapport et les motifs justifiant sa position d'autant plus qu'en introduisant l'idée de brevetabilité des mesures techniques, il prend une position contraire à celle de la France et du Parlement européen. Il sera également intéressant de voir comment le rapporteur va justifier la création d'une nouvelle parodie de justice financée sur le budget de l'État (l'autorité de régulation des mesures techniques introduite aux amendements 18 et 20). Il voudrait plomber la dette publique, freiner l'innovation, faire fuir les auteurs de logiciels libres, et empêcher l'accès rapide à un juge indépendant et impartial qu'il ne s'y prendrait pas autrement.
- La suppression de l'article 7 bis (amendement 19), pourtant soutenu par le Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN), est incompréhensible. Si l'initiative EUCD.INFO maintient que la prise de contrôle distante d'un ordinateur personnel par un fournisseur de mesures techniques au nom du droit d'auteur devraient tout simplement être interdite, l'absence totale de prise en compte des dangers d'une telle activité pour la sécurité informatique et la vie privée la laisse pour le moins pantois.
- La suppression de l'alinéa 3 de l'article 12 bis (amendement 22) illustre la volonté de permettre des menaces et poursuites arbitraires au pénal de tout développeur de logiciels d'échange de fichiers. Le maintien même de cet amendement terroriste alors que son pendant civil a été supprimé est en fait totalement incompréhensible. Soit il est inacceptable de prétendre responsabiliser des fournisseurs d'outils pour les usages qui en sont fait par les utilisateurs, soit cela ne l'est pas (l'expression “manifestement destiné à” peut en effet s'interpréter comme la destination donnée par les utilisateurs). À croire que le seul objectif du rapporteur est de donner un peu à Paul et un peu à Jacques pour ne se fâcher avec personne. C'est à l'évidence raté, et on attend ici aussi avec impatience de lire les motifs pour tenter de comprendre une telle schizophrénie.
- L'amendement 25 est un amendement complètement surréaliste puisqu'il introduit la notion de logiciels pair-à-pair sans même la définir. Or une interprétation large de la notion de pair-à-pair pourrait englober l'ensemble des logiciels d'échange de données sur internet. Plutôt que de supprimer, en toute logique, l'alinéa 1 de l'article 14 bis comme lui avait demandé l'initiative EUCD.INFO lors de son audition pour que le bénéfice de l'exception de copie privée reste indépendant de l'évolution des techniques, le rapporteur a préféré manipuler des concepts qu'ils ne maîtrise à l'évidence pas.
- L'amendement 35 semble destiné à empêcher les créateurs d'exploiter leurs oeuvres en-dehors du cadre défini par les sociétés de gestion collective. C'est une attaque directe contre les auteurs qui souhaitent utiliser des contrats comme les licences Creative Commons ou Art Libre. Cet amendement tend à entériner des monopoles de plus en plus contestés tant ils sont coûteux pour les créateurs et le public (voir l'article du Monde : «La commission de contrôle critique sévèrement les sociétés d'auteurs»)